Centralisation du contrôle de l’information ! La dernière proposition de l’Union européenne pour censurer les médias

Taylor Hudak

août 4, 2023

Childrenshealthdefense.eu

La Commission européenne a proposé une nouvelle loi visant à centraliser le secteur des médias de l’UE dans un marché unique supervisé par la Commission et les instances de régulation nationales par le biais d’un nouveau Comité européen pour les services de médias.

La loi européenne sur la liberté des médias (EMFA), proposée par la Commission le 16 septembre 2022, est présentée comme une initiative pour promouvoir l’indépendance et le pluralisme des médias, tout en assurant une protection contre la désinformation et l’ingérence étrangère, dans le secteur médiatique, en établissant un ensemble de normes sous la forme d’une loi européenne.

L’une des principales composantes de l’EMFA est la création du Comité européen pour les services de médias, qui sera composé de représentants des instances nationales de régulation, ainsi que d’un représentant de la Commission européenne. Il incombera à ce comité de surveiller le secteur des médias de l’UE, d’émettre des avis sur les concentrations de marché, de fournir des conseils spéciaux et de veiller au respect uniforme du règlement, entre autres tâches.

Bien que la proposition de l’EMFA ait été saluée pour ses objectifs déclarés – à savoir la protection de la liberté des médias – elle continue d’être examinée par diverses organisations de presse et membres du Parlement européen qui y voient des failles permettant la surveillance des journalistes tout en ouvrant la voie à des interventions sans précédent de la Commission européenne sur le marché médiatique intérieur.

Malgré ces critiques, l’EMFA continue de faire son chemin dans le processus législatif de l’UE. Le 21 juin 2023, le Conseil européen a obtenu un mandat de négociation avec le Parlement européen. Un mois plus tard, le 20 juillet, la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) a adopté son avis sur la législation proposée, ce qui constitue une étape supplémentaire vers son homologation en tant que loi européenne, l’intention de la Commission étant de conclure les négociations avant les prochaines élections européennes.


Le cadre actuel

Pour comprendre l’importance de ce projet de loi, il faut revenir sur le cadre existant que l’EMFA élargira : la directive sur les services de médias audiovisuels (DSMA). L’organe consultatif actuel de la DSMA auprès de la Commission, le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA), sera remplacé par le nouveau Comité européen pour les services de médias (le Comité).

Le cadre actuel, la DSMA, ne s’applique qu’aux services de médias audiovisuels, définis comme « un service fournissant des programmes, sous la responsabilité éditoriale d’un fournisseur de services médiatiques, au grand public, pour l’informer, le divertir ou l’éduquer, en utilisant des réseaux de communications électroniques, que ce soit sous forme de diffusion ou à la demande. »

L’EMFA s’applique toutefois de manière plus large, au « fournisseur de services médiatiques », défini comme « une personne physique ou morale dont l’activité professionnelle consiste à fournir un service de médias et qui a la responsabilité éditoriale du choix du contenu de ce service et détermine la manière dont il est organisé. »

Cela signifie donc que, contrairement à l’ERGA, le Comité supervisera non seulement les services de médias audiovisuels, mais aussi le secteur de la presse. Le document de position de l’ERGA de novembre 2022 sur l’EMFA a suggéré que l’autorité de la Commission pour réglementer la presse pourrait être problématique pour les États membres.

« Compte tenu de la sensibilité des questions de presse, ainsi que des spécificités nationales (y compris constitutionnelles), l’ERGA souhaite déclarer explicitement et sans ambiguïté que ce n’est ni sa vocation ni son intention de réglementer le secteur de la presse. »Extrait de la prise de position de l’ERGA sur l’EMFA

Ilias Konteas, directeur exécutif de l’Association européenne des éditeurs de magazines (EMMA) et de l’Association européenne des éditeurs de journaux (ENPA), dont la spécialisation juridique porte sur le droit européen des médias, a déclaré à Children’s Health Defense Europe que la compétence du Comité sur le secteur de la presse porterait atteinte à un élément essentiel de la liberté de la presse, à savoir le principe selon lequel la presse libre est seule responsable de son contenu devant la loi et les tribunaux.

« La presse doit rester libre de tout contrôle réglementaire européen », a déclaré M. Konteas. « Étant donné que, dans la grande majorité des États membres, la presse est autoréglementée, les membres du Comité joueraient un rôle, au niveau européen, qui sortirait de leur mandat national. »

Réguler les médias, littéralement

La différence la plus apparente entre la directive sur les services de médias audiovisuels (DSMA) et la proposition de régulation de l’Acte européen pour la liberté des médias (EMFA) réside dans le nom lui-même. La législation actuelle, la DSMA, n’est qu’une directive qui a dû être transposée et mise en œuvre au niveau national, tandis que l’EMFA est un règlement qui ne sera pas soumis au même niveau de contrôle par le Parlement européen.

Dans l’UE, il existe plusieurs types de lois: les directives, les règlements, les décisions, les recommandations et les avis. Afin de mieux comprendre le project de loi de l’EMFA, cette section se concentrera brièvement sur les différences entre une directive et un règlement.

Un règlement est un type de loi européenne qui fixe un objectif et définit la manière de l’atteindre. Une fois adoptée, la loi entre immédiatement en vigueur dans tous les États membres de l’UE. Il est juridiquement contraignant, remplace les lois nationales et les États membres sont limités dans leur capacité à déterminer comment atteindre l’objectif fixé.

Une directive est un type de législation européenne qui fixe un objectif mais ne définit pas comment l’atteindre. C’est aux États membres de déterminer comment atteindre l’objectif fixé en établissant des lois nationales.

Selon M. Konteas, la politique des médias relève principalement de la compétence des États membres. « Cela a déclenché un débat sur la question de savoir si la Commission était autorisée à proposer un règlement sur les médias. »


Historique

Cette initiative de législation sur la liberté des médias a été mentionnée pour la première fois par la présidente de la Commission européenne, Ursula von Der Leyen, lors de son discours sur l’état de l’Union en septembre 2021, dans lequel elle a déclaré : « Les entreprises de médias ne peuvent pas être traitées comme des entreprises comme les autres. Leur indépendance est essentielle. L’Europe a besoin d’une loi qui garantisse cette indépendance – et la Commission présentera une loi sur la liberté des médias l’année prochaine. »

Plusieurs mois plus tard, en décembre 2021, la Commission a annoncé un appel à contribution pour la sauvegarde de la liberté des médias dans l’UE, ouvert au public pour commentaires et consultation jusqu’en mars 2022.

En mai de la même année, la Commission a élaboré son rapport d’analyse d’impact et l’a soumis au comité d’examen de la réglementation de la Commission (CER), dont les fonctions consistent à fournir un contrôle de la qualité, à soutenir la Commission et à fournir des évaluations, dès les premiers stade du processus législatif.

Il convient de noter que le CER est présenté comme un comité consultatif de la Commission et qu’il est décrit comme un « organe indépendant », selon son site web. Cependant, le CER est composé de neuf membres, dont cinq sont issus de la Commission elle-même, y compris quatre haut commissionaires et un directeur général de la Commission qui assure la présidence du CER. Les quatre autres membres sont recrutés en dehors de la Commission.

L’une des fonctions du CER est d’examiner et d’émettre des avis sur les rapports d’analyse d’impact. Un rapport d’analyse d’impact doit inclure les impacts socio-économiques et environnementaux d’une initiative – qui et quoi sera affecté par l’initiative et comment? -, ainsi que les résultats du processus de consultation et la stratégie adoptée au cours de ce dernier.

Le CER peut émettre l’un des trois avis suivants sur un rapport d’évaluation d’impact : « positif », « positif avec réserves » ou « négatif ». Une initiative proposée ne peut être adoptée que si elle reçoit un avis « positif » ou « positif avec réserves ». En cas d’avis « négatif », le rapport préliminaire doit être révisé et soumis à nouveau au CER.

En outre, il est important de souligner que le CER est un groupe technique dont la fonction principale est de compléter et de vérifier les rapports d’analyse d’impact. Dans le cas présent, on peut supposer que l’un des principaux objectifs était de s’assurer que tous les aspects du marché intérieur des médias soient abordés et donc soumis à la surveillance réglementaire de la Commission. La section suivante doit être comprise dans ce contexte.

Impopulaire dès le départ ?

Un mois seulement après que la Commission a présenté son rapport d’évaluation d’impact sur la proposition de loi EMFA, le CER a rendu un avis négatif en juin 2022.

RSB Impact Assessment Report Opinion
Opinion initiale du rapport d’évaluation d’impact du CER

L’avis initial du CER indique que le rapport d’analyse d’impact de l’EMFA n’explique pas les déficiences du marché unique et les lacunes réglementaires en la matière. Il n’explique pas avec suffisamment de preuves les problèmes que l’EMFA cherche à résoudre, comment les mesures vont résoudre ces problèmes, ni la prévalence de ces problèmes sur les différents marchés des médias et dans les États membres.

En outre, l’avis indiquait que le rapport ne démontrait pas clairement la nécessité ni l’efficacité de certaines mesures et qu’il manquait de transparence en ce qui concerne les opinions divergentes des parties prenantes au cours du processus de consultation.

Suite à cet avis négatif, la Commission a soumis un rapport d’évaluation d’impact révisé, le 11 juillet 2022. Quelques semaines plus tard, le CER a émis son deuxième avis : « positif avec réserves. »

RSB Impact Assessment Report 2nd Opinion
Deuxième avis du CER sur le rapport d’analyse d’impact

Le deuxième avis indiquait que le rapport d’analyse d’impact révisé de l’EMFA présentait toujours des lacunes importantes et, en particulier, qu’il manquait de preuves pour définir ou décrire le problème qu’il cherche à résoudre. En outre, le troisième point de préoccupation se lit comme suit : « l’analyse des incidences sur le marché unique et sur la distribution, entre les différents services de médias et entre les États membres, n’est pas suffisamment développée. »

Malgré cela, la Commission a pu aller de l’avant et, le 16 septembre 2022, elle a publié sa proposition visant à « établir un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur », qu’elle a baptisée « Acte européen pour la liberté des médias » (EMFA).

Le référendum explicatif du projet de loi sur la liberté des médias indique que le celui-ci « vise à résoudre une série de problèmes affectant le fonctionnement du marché intérieur des services de médias et l’activité des fournisseurs de services médiatiques. »

Selon la proposition, l’EMFA adhérera aux politiques existantes et les développera tout en comblant les lacunes réglementaires. En outre, elle s’articule autour de quatre objectifs :

1. « Favoriser l’activité et l’investissement transfrontaliers dans les services médiatiques en harmonisant certains éléments des cadres nationaux divergents relatif au pluralisme des médias, en particulier pour faciliter la fourniture de services transfrontaliers. »

2. « Accroître la coopération et la convergence en matière de régulation grâce à des outils de coordination transfrontiers et à des avis et orientations au niveau de l’UE. »

3. « Faciliter la fourniture de services de médias de qualité en réduisant le risque d’ingérence indue d’acteurs publics et privés dans la liberté éditoriale. »

4. « Assurer une allocation transparente et équitable des ressources économiques sur le marché intérieur des médias en améliorant la transparence et l’équité de la mesure de l’audience et de l’attribution de la publicité d’État. »Le texte détaillé de chacun des quatre objectifs peut être lu dans le projet original de proposition de l’EMFA.

A première vue, le langage utilisé dans le texte de la proposition peut donner une impression positive au citoyen européen moyen, au résident, au journaliste, à l’éditeur ou à l’eurodéputé. L’utilisation d’expressions telles que « services de médias de qualité », « allocation équitable des ressources économiques », « liberté éditoriale », en plus du nom de la législation, « Acte européen pour la liberté des médias », peut suggérer que cette proposition pourrait renforcer et protéger les journalistes et les professionnels des médias de divers sous-secteurs. Ce n’est toutefois le cas qu’en l’absence d’un examen plus approfondi du texte proprement dit.

Derrière les mots à la mode et les formules ronflantes utilisés dans les introductions, les présentations dans les médias et les discours de promotion de l’EMFA, un examen approfondi du texte de la proposition de loi dévoile une volonté sans précédent pour établir un secteur des médias unifié au sein l’UE, sous le contrôle central du Comité européen pour les services de médias nouvellement créé, lequel a l’autorité de censurer et de restreindre la presse.

Un examen plus approfondi de l’EMFA

La Commission de la culture et de l’éducation (CULT) est la commission responsable de l’EMFA. La Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) et celle du marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO) y sont associées. La procédure est dirigée par le rapporteur spécial Sabine Verheyen, députée européenne du Parti chrétien-démocrate d’Allemagne.

Etant donné que la proposition est toujours en cours de procédure législative, il existe plusieurs avis et versions amendées de la proposition. Le texte suivant analysera le mandat de négociation du Conseil.

Comité européen pour les services de médias

(Note de l’auteur : le texte en gras dans les images indique les changements apportés au projet original de l’EMFA)

L’EMFA établit le Comité européen pour les services de médias (le Comité), qui remplacera l’actuel Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA). Selon la proposition initiale de la Commission, l’ERGA manque de ressources et de capacités pour résoudre les problèmes transfrontaliers, pour gérer les questions réglementaires et son champ d’action est limité.

Le Comité est présenté comme un organe indépendant. L’article 9 affirme « l’indépendance totale du Comité » et stipule que le Comité « … ne sollicite ni n’accepte d’instructions d’aucune institution, personne ou organe gouvernemental. Cela n’affecte pas les compétences de la Commission ou des autorités ou organismes nationaux de régulation conformément au présent règlement. »

Article 9 - Independence of the Board
Article 9 – Indépendance du Comité

Cela signifie que le comité agit de manière indépendante, mais que cette indépendance n’intervient pas dans les domaines dans lesquels la Commission et/ou les autorités de régulation nationales sont, conformément à la législation, impliquées dans le fonctionnement, la gestion et l’exécution de la mission du Comité.

L’examen de la structure du Comité, de son secrétariat et de ses tâches, tels qu’ils sont décrits aux articles 10 à 12, montre clairement que la Commission joue un rôle important dans le fonctionnement et la composition générale du comité.

Ceci a soulevé des questions quant à la légitimité de l’indépendance du Comité, affirmée à l’article 9. Même la prise de position de l’ERGA fait état de cette contradiction dans l’extrait suivant :

« L’indépendance du comité formulée à l’article 9 est contredite dans la pratique par plusieurs dispositions contenues dans les articles suivants sur le fonctionnement interne du Comité, le secrétariat et les tâches du Comité. »Prise de position de l’ERGA sur l’EMFA

Structure du « Comité »

Le Comité sera composé de représentants des autorités réglementaires nationales et chaque membre disposera d’une voix. Un président et un vice-président seront élus par les membres du Comité et pourront exercer au maximum deux mandats d’un an. Il incombe au président de tenir la Commission informée des activités du Comité et de la consulter en vue de l’élaboration de son programme de travail.

Article 10 - Structure of the Board
Article 10 – Structure du Comité

En outre, la Commission désignera un représentant au Comité qui participera aux « délibérations » du Comité mais n’aura pas le droit de vote.

« Lors d’un événement organisé il y a quelques mois, la Commission a déclaré qu’elle prévoyait d’affecter huit à dix personnes au Comité, ce qui est assez important, même sans droit de vote », a déclaré M. Konteas.

En outre, le Comité ne doit adopter son règlement intérieur et son programme de travail qu’après avoir consulté la Commission. Il peut inviter des experts à assister aux réunions, mais les participants permanents ne peuvent être autorisés qu’avec l’accord de la Commission.

« Si, dans un État membre, le gouvernement désignait une personne pour participer à toutes les réunions et activités de l’instance nationale de régulation des médias, cela sonnerait immédiatement l’alarme quant au risque d’ingérence gouvernementale. »

En outre, même le personnel du comité est attribué par la Commission. Comme l’indique l’article 11, le secrétariat sera assuré par la Commission.

Article 11 - Secretariat of the Board
Article 11 – Secrétariat du Comité

Le secrétariat assiste le Comité dans ses activités administratives et organisationnelles et travaille en étroite collaboration avec le Comité et son président « en établissant les livrables. »

Toutefois, les avis de la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO) et de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) cherchent tous deux à limiter quelque peu le rôle de la Commission.

L’article 11 de l’avis de l’IMCO supprime la disposition selon laquelle le secrétariat est assuré par la Commission, et stipule à la place que « le Comité soit assisté d’un bureau indépendant. » Toutefois, ces deux commissions maintiennent l’article 10, paragraphe 5, qui permet à la Commission de nommer un représentant au Comité.

Il sera déterminé au cours des étapes ultérieures de la procédure législative si ces avis seront adoptés.

Les tâches du Comité

Comme l’ERGA, le Comité joue un rôle de conseil et de soutien auprès de la Commission. Contrairement à l’ERGA, le Comité a un champ de compétences beaucoup plus large et dispose d’une autorité réglementaire sur le secteur de la presse.

Article 12 - Tasks of the Board
Article 12(1) – Tâches du Comité

Conformément à l’article 12, paragraphe 1, le Comité conseille la Commission sur les questions relatives aux médias qui relèvent de sa compétence et promeut et assure l’application cohérente du règlement. La Commission est fréquemment citée dans le texte de l’article 12.

Article12(d-f)
Article 12(d-f) – Tâches du Comité

« À la demande de la Commission », le Comité émet des avis sur des questions techniques et factuelles. « En consultation avec la Commission », le Comité élabore des avis sur les demandes de coopération entre les organismes de régulation et sur les demandes de mesures de contrôle du respect des obligations, en cas de désaccord entre les instances de régulation naturelles sur les mesures nationales. « À la demande de la Commission », le Comité rédige des avis sur les concentrations du marché des médias.

Il convient de noter que si le document de position de l’ERGA se félicite des nouvelles tâches confiées au Comité, il plaide en faveur d’une réduction du rôle de la Commission :

« Il est donc inapproprié que l’EMFA prévoie uniquement ou principalement que les tâches du Comité soient exécutées « en accord avec » ou « à la demande de la Commission. » Le document de position requiert donc que toutes demandes ‘en accord avec la Commission’ soient supprimées. »Extrait de la prise de position de l’ERGA sur l’EMFA

Article12(h)
Article 12(h) – Tâches du Comité

En outre, comme le souligne l’article 12(h), il est du devoir du Comité de simplement « assister la Commission dans l’élaboration de lignes directrices concernant l’application du règlement », y compris les articles 23(1), (2), (3) et (4), ainsi que les facteurs à prendre en compte lors de l’évaluation des concentrations sur le marché des médias.

Une nouvelle disposition ajoutée par le Conseil permet à la Commission de fixer des délais pour demander des conseils ou des avis au Comité.

Le Comité proposera également une médiation en cas de désaccord entre les instances réglementaires nationales et veillera à l’harmonisation des normes relatives à la conception des appareils ou des interfaces utilisateur. Le Comité organisera un dialogue entre les très grandes plateformes en ligne (VLOP) et les fournisseurs de services de médias (MSP) et fera part de ses conclusions à la Commission afin de garantir les meilleures pratiques en matière de systèmes de mesure d’audience.

L’un des principaux objectifs de l’EMFA est de promouvoir le pluralisme des médias. Cela soulève des questions quant à la manière dont le Comité garantira que les consommateurs d’informations auront accès à un large éventail d’opinions et de perspectives provenant de différentes sources. L’examen de l’article 12(k) et de l’article 16 permet de mieux comprendre comment le Comité gérera les services de médias établis en dehors de l’UE.

Un « risque sérieux et grave » pour la sécurité publique

L’article 12 (k) prévoit que le Comité « coordonne les mesures nationales relatives à la diffusion ou à l’accès au contenu des services de médias établis en dehors de l’Union qui ciblent ou atteignent des publics dans l’Union. »

Article12(k)(l)(m)
Article 12(k-m) – Tâches du Comité

Par conséquent, le Comité peut limiter ou restreindre l’accès au contenu de services de médias, qui proviennent de l’extérieur de l’Union Européenne mais qui ciblent des publics dans l’Union, par le biais de « mesures nationales », si ce service de médias est considéré comme « présentant un risque sérieux et grave d’atteinte à la sécurité publique. »

Si le Comité, en consultation avec la Commission, considère qu’un service de médias extérieur à l’UE présente un « risque sérieux et grave » pour le public, les consommateurs d’informations au sein de l’UE ne pourront pas avoir accès à ce contenu. Bien que cela soit déjà le cas avec l’interdiction de médias tels que RT et Sputnik, les dispositions de l’EMFA fourniraient une base juridique supplémentaire pour restreindre l’accès aux contenus provenant de l’extérieur de l’UE qui seront considérés comme une menace pour la sûreté et la sécurité publiques.

Il s’agit là d’un élément clé de l’EMFA, comme le souligne l’article 16.

Article 16 - Coordination of measures concerning media services from outside the Union
Article 16 – Coordination des mesures concernant les services de médias provenant de l’extérieur de l’Union

Cet article stipule que les services de médias ou les fournisseurs de services médiatiques établis en dehors de l’UE qui, « quels que soient leurs moyens de distribution ou d’accès, ciblent ou atteignent des publics dans l’Union, compte tenu notamment du contrôle que des pays tiers peuvent exercer sur eux, portent atteinte ou présentent un risque sérieux et grave à la sécurité publique et à la défense. » Cela signifie que, par défaut, si un fournisseur de services de médias est originaire de l’extérieur de l’UE, il est considéré comme étant soumis au contrôle de pays tiers et constitue donc un risque d’atteinte à la sécurité publique.

L’article 16 (3) stipule que le Comité, en consultation avec la Commission, établit les critères à utiliser par les instances de régulation nationales « lorsqu’elles exercent leurs pouvoirs de régulation sur les fournisseurs de services de médias. »

Il s’agit là d’une reconnaissance claire du fait que les autorités nationales de régulation qui surveillent le secteur des médias sous la direction du Comité et de la Commission auront des pouvoirs de régulation sur les fournisseurs de services de médias.

En résumé, alors que la Commission s’inquiète du fait que les services de médias provenant de l’extérieur de l’UE peuvent présenter un risque pour la sécurité publique, parce qu’ils peuvent être contrôlés par des pays tiers, elle cherche en même temps à contrôler le secteur des médias nationaux de l’UE par l’intermédiaire du Comité.

La grande ironie

De nombreuses organisations ont exprimé des doutes sur les propositions de l’EMFA. Des centaines d’éditeurs de presse et d’associations d’éditeurs de presse de différents pays européens ont signé une lettre ouverte adressée aux colégislateurs de l’UE, le 27 juin 2023.

La lettre ouverte, qui demande que l’EMFA « soit à la hauteur de son nom », aborde de nombreux aspects de la proposition. Elle commence par une remarque générale indiquant que plusieurs dispositions de l’EMFA sont, en fait, contre-productives pour la protection de la liberté de la presse.

L’une des nombreuses questions soulevées concerne la censure, qui est devenue un problème plus important depuis la loi sur les services numériques (DSA), qui a donné aux entreprises de médias sociaux et aux plateformes en ligne le droit de supprimer et de restreindre le contenu qui n’est pas conforme à leurs conditions générales.

« L’EMFA ne va pas assez loin pour sauvegarder la liberté d’expression et le pluralisme en ligne et empêcher la censure par les très grandes plateformes numériques (VLOP), qui devient un problème généralisé. La protection de la liberté d’expression doit être considérablement renforcée pour garantir la distribution sans entrave des contenus légaux de la presse européenne, et pour que les informations pluralistes restent librement accessibles en ligne sans interférences indues de la part des VLOP… »Extrait de la lettre ouverte « L’EMFA doit être à la hauteur de son nom »

Plus de pouvoir pour les plateformes en ligne

L’article 17 établit le fonctionnement et la gestion du contenu des fournisseurs de services de médias par rapport aux fournisseurs de très grandes plateformes en ligne (VLOP). Selon le projet de proposition initial, un fournisseur de VLOP est défini comme « un fournisseur d’une plateforme en ligne qui a été désignée « très grande plateforme en ligne » conformément à l’article 25, paragraphe 4″ de la DSA. »

En avril 2023, la Commission a désigné plusieurs entités, dont Amazon Store, Facebook, Twitter, YouTube, TikTok et d’autres, comme VLOP.

Article 17(1) - Content of media service providers on very large online platforms
Article 17, paragraphe 1 – Contenu des fournisseurs de services de médias sur les très grandes plateformes en ligne

Avant de publier du contenu sur une VLOP, un fournisseur de services de médias (MSP) doit d’abord conclure un accord contractuel avec le VLOP dans lequel il confirme qu’il est un MSP, qu’il est indépendant sur le plan éditorial des États membres et de pays tiers et qu’il est soumis aux exigences réglementaires et se conforme à une politique de corégulation ou d’autorégulation.

Contrairement au projet de proposition initial, le mandat de négociation du Conseil comprend une disposition supplémentaire qui obligerait les MSP à fournir les coordonnées de l’autorité réglementaire nationale compétente, de sorte que dans les cas où un MSP est soupçonné de ne pas s’être conformé au point c), le fournisseur de VLOP peut contacter l’autorité réglementaire nationale pour obtenir confirmation.

Conformément à l’article 17, paragraphe 6, « la Commission publiera des lignes directrices pour faciliter la mise en œuvre effective de la fonctionnalité visée au paragraphe 1 », afin de garantir une application cohérente de l’article.

Article17(6)
Article 17, paragraphe 6 – Contenu des fournisseurs de services de médias sur les très grandes plateformes en ligne

Par conséquent, les MSP doivent déclarer leur indépendance vis-à-vis des États membres et des pays tiers, tout en se soumettant au contrôle et à la réglementation des autorités de régulation nationales et de la Commission par l’intermédiaire du Comité.

« Toute catégorisation par et/ou toute autorisation accordée aux VLOP ou à des « organisations de la société civile, de vérification des faits (factchecking) et autres organisations professionnelles concernées » de remettre en question les auto-déclarations des entreprises médiatiques est problématique car il permet à des tiers de restreindre les droits de ces entreprises médiatiques », a déclaré M. Konteas.

Suspensions et restrictions

S’il subsistait des doutes quant à la possibilité que les fournisseurs de VLOP puissent censurer ou restreindre du contenu, l’article 17, paragraphe 2, les dissipe absolument.

Article17(2)
Article 17, paragraphe 2 – Contenu des fournisseurs de services de médias sur les très grandes plateformes en ligne

Les VLOP suspendront les fournisseurs de services de médias en cas de non-respect du règlement et limiteront la visibilité des contenus publiés qui seront considérés comme incompatibles avec leurs conditions générales.

Dans ce cas, le fournisseur du VLOP doit avertir le MSP avant la période de suspension ou de résiliation et lui donner la possibilité de répondre. Si un MSP considère qu’il a été suspendu à plusieurs reprises sans justification, les deux parties doivent engager une discussion à ce sujet en temps utile, à la demande du MSP.

Bien que les spécificités justifiant la suspension, la restriction ou la suppression de contenu ne soient pas claires, on peut supposer que les MSP considérés comme produisant des contenus « nuisibles » et de la « désinformation » peuvent faire l’objet de mesures répétées.

Article 18 - Structured dialogue
Article 18 – Dialogue structuré

L’article 18 stipule que le Comité doit rencontrer régulièrement les fournisseurs de VLOP, les représentants de MSP et les membres de la société civile afin de garantir les meilleures pratiques pour la mise en œuvre de l’article 17 « et de surveiller l’adhésion aux initiatives d’autorégulation visant à protéger la société contre les contenus préjudiciables, y compris la désinformation et la manipulation de l’information et l’interférence étrangères. »

Qu’en est-il de la liberté des médias ?

Alors qu’une grande partie de l’EMFA semble imposer de nouvelles restrictions aux MSP et aux services de médias, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE, nombreux sont ceux qui se demandent où se trouve la « liberté » dans l’Acte européen pour la liberté des médias.

L’article 4 énonce les droits des MSP et est le seul article consacré à ce sujet. Il stipule que les MSP ont le droit d’exercer leurs activités économiques au sein de l’UE, pour autant qu’ils respectent le droit de l’Union. Les États membres doivent respecter la liberté éditoriale effective des fournisseurs de services de médias et, avec leurs instances nationales de régulation, ne doivent pas essayer d’interférer avec les politiques ou décisions éditoriales des MSP ou de les influencer, et doivent respecter la protection des sources journalistiques.

En outre, l’article 4, paragraphe 2 bis, traite des droits des MSP dans le contexte de ce que les États membres et les autorités de régulation nationales ne doivent pas faire. Une grande partie de la controverse autour de l’EMFA réside dans cette échappatoire qui permet aux États membres d’espionner les journalistes, les MSP et leurs associations, s’ils considèrent qu’il s’agit d’une menace pour la sécurité nationale.

Article 4(1)(2) - Rights of media service providers
Article 4(1-2) – Droits des fournisseurs de services de médias

Ce qui est sans doute l’un des aspects les plus négligés de l’EMFA, c’est que les fournisseurs de services de médias ne sont pas protégés contre les abus de pouvoir potentiels de la Commission et des autorités nationales de régulation, qui se voient accorder un contrôle sans précédent sur les médias.

« Une fois que le risque de pression politique sur les décisions éditoriales a été reconnu, il serait naïf d’exclure la possibilité que cela se produise au niveau européen », a déclaré M. Konteas. Au nom de l’EMMA et de l’ENPA, il a déclaré qu’ils étaient très préoccupés par le fait qu’il n’y ait aucune garantie contre le risque d’ingérence de la Commission.

« En fait, nous avons suggéré d’étendre la protection de l’Art. 4(2), et plus particulièrement de l’article 4(2)(a), aux menaces potentielles provenant de l’Union européenne, de ses agences et organes, qui devraient être tout aussi tenus de respecter la liberté et l’indépendance des médias que les gouvernements et autorités des États membres. »

Dans le contexte des droits accordés aux MSP, l’EMFA se concentre sur la protection contre les abus potentiels des États membres, mais pas de la Commission, tout en réduisant le rôle des États membres et en accordant une autorité significative à la Commission.

Les perspectives

Si l’EMFA devait être intégrée au droit communautaire, on ne peut qu’imaginer la myriade de changements que connaîtrait le secteur des médias dans l’Union européenne. Un secteur autrefois autorégulé passerait alors sous le contrôle, bien qu’indirectement, de la Commission européenne, un organe non élu et qui échappe largement au contrôle du public.

« L’Europe est une région diversifiée. L’Europe s’est toujours appuyée sur sa diversité culturelle, géographique et linguistique et les marchés des médias de l’Union se sont construits sur ces éléments. Nous ne pensons donc pas qu’il existe un seul marché commun qui justifie l’intervention réglementaire de la Commission européenne… La supervision d’une autorité centrale, ce Comité européen, est sans précédent pour notre secteur. Ce qui nous semble également problématique, c’est l’implication directe de la Commission européenne. C’est comme si un gouvernement européen supervisait les médias. Je ne pense pas que cela convienne très bien. »Extrait de l’intervention d’Ilias Konteas lors d’un débat sur France24, novembre 2022

La Commission, par l’intermédiaire du Comité et des instances nationales de régulation, cherche à contrôler les médias, alors que c’est aux médias de les contrôler. Alors que l’EMFA s’appliquerait à toute personne ou entité répondant aux critères de la définition large et vague de « fournisseur de services de médias », il est important de considérer comment le domaine du journalisme, qui est censé être un frein au pouvoir, sera affecté.

Le devoir d’un journaliste n’est pas envers un gouvernement, un organisme gouvernemental ou une société. Le devoir d’un journaliste est envers le public. Ce principe même, qui a été si longtemps chéri, pourrait être grandement compromis si l’EMFA devient une loi, en particulier sous sa forme actuelle.

Cependant, l’EMFA ne contient pas seulement des dispositions qui restreignent et contrôlent les journalistes et les « fournisseurs de services de médias », elle cherche également à vous contrôler, vous, le lecteur, le consommateur d’informations.

Au cours des trois dernières années, le langage de la santé publique a été utilisé pour détruire notre santé sous prétexte de la protéger. Aujourd’hui, le langage de la liberté des médias est utilisé pour contrôler et détruire les médias sous prétexte de les protéger.

L’EMFA réglementera votre accès à l’information, sous prétexte de vous protéger de la « désinformation nuisible » et de la « manipulation étrangère. » La Commission européenne et le Comité européen pour les services de médias doivent-ils déterminer ce qui est vrai ou faux, ce que vous devez lire ou ce que vous ne devez pas regarder ? C’est à vous, lecteur, d’en décider par vous-même.

La Commission de la culture et de l’éducation (CULT) devrait rendre son avis sur la proposition en septembre de cette année, après quoi elle entamera un trilogue avec le Conseil. La Commission, le Parlement et le Conseil cherchent tous à conclure les négociations sur l’EMFA avant les élections du Parlement européen au printemps 2024.


(Note de l’auteur : les eurodéputées Gwendoline Delbos-Corfield et Sabine Verheyen ont toutes deux été contactées pour un commentaire mais n’ont pas répondu)

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Taylor Hudak

Taylor Hudak est un journaliste américano-hongrois basé à Budapest, en Hongrie. Taylor contribue à Children’s Health Defense Europe et couvre les questions relatives aux droits de l’homme, à la liberté d’expression, à la santé et au droit. Taylor fait des recherches, écrit et produit des reportages vidéo et des interviews pour The Last American Vagabond et acTVism Munich. Elle a suivi de près la procédure d’extradition du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, et est apparue sur RT International, Radio Sputnik et ABC Australia. Mme Taylor est titulaire d’une licence en anglais et d’une maîtrise en journalisme et communication de masse de l’université d’État de Kent. Elle travaille en étroite collaboration avec Doctors for Covid Ethics, une organisation de médecins et de scientifiques qui s’efforcent d’éduquer le public en matière de santé et d’éthique médicale.